Approuvée sans difficulté par l’Assemblée nationale et le Sénat en début d’année 2024, puis par l’Europe en septembre de cette même année, la loi sur l’interdiction des puffs en France n’est toutefois pas encore actée officiellement. Un élément manque au dossier : le vote définitif du gouvernement, qui doit statuer au cours des prochaines semaines.
On fait le point sur cette délicate affaire, toujours sujette aux polémiques et aux rebondissements.
Pourquoi une loi d’interdiction sur les puffs ?
Techniquement, une puff n’est ni plus ni moins qu’une cigarette électronique… à usage unique. Elle partage en effet le fonctionnement d’une vapoteuse ordinaire : une fois activée, sa batterie vient chauffer la résistance présente dans le réservoir, transformant ainsi le liquide en vapeur.
Un procédé bien éloigné de celui de la cigarette de tabac classique donc, puisqu’il n’en passe pas par la combustion. Ici, on ne brûle rien, on vaporise, et ça change tout. En obtenant de la vapeur plutôt que de la fumée, on supprime de fait un bon nombre de substances toxiques – mais surtout cancérigènes – libérées dans l’organisme et l’environnement du fumeur lorsqu’il allume sa cigarette. Aussi, comme le confirme chaque année le Collège royal de médecine britannique, on réduit ainsi les risques de 95 % au moins en préférant le vapotage au tabagisme ¹.
Mais alors, si la puff n’est rien de moins qu’une cigarette électronique, et qu’il a justement été prouvé que vapoter était drastiquement moins nocif que de fumer, pourquoi souhaiter son interdiction ? Que lui reproche-t-on exactement ?
La puff : une cigarette électronique jetable
Si la cigarette électronique est un matériel plutôt durable, à la fois réutilisable et rechargeable, environnementalement parlant, la puff pose problème, c’est indéniable.
Dispositif de vapotage jetable, cette petite e-cigarette tout-en-un ne se recharge ni en e-liquide ni en batterie. Constituée d’un seul et même bloc, elle se veut prête à l’emploi :
- sa batterie propose une autonomie limitée (de 300 à 600 bouffées selon les modèles) ;
- son réservoir contient déjà du liquide à vaporiser.
Aussi, après avoir vidé le réservoir et/ou épuisé la batterie, une puff devient inutilisable. Et se transforme vite en un déchet encombrant pour la planète.
… jugée trop récréative
Mais là n’est qu’une petite partie du problème si l’on en croit ses détracteurs. Car les puffs sont accusées de bien d’autres maux, d’ordre sanitaire cette fois. On leur reproche principalement d’inciter des personnes mineures et non-fumeuses à consommer de la nicotine. Cela, en arborant sciemment des designs colorés et des saveurs sucrées.
“C’est un réflexe, un geste auquel les jeunes s’habituent. Ensuite, c’est comme ça qu’ils vont vers du tabagisme et il faut arrêter cela”, déclarait ainsi l’ex-Première ministre française Élisabeth Borne en septembre 2023.
Une opinion partagée par bon nombre de politiciens et de médias, mais qui se trouve pourtant à l’opposé des faits observés par les scientifiques.
Danger des puffs : qu’en dit la Science ?
Si la fameuse théorie de l’effet passerelle définit la vape comme une dangereuse porte d’entrée vers le tabagisme, aucune preuve de son existence n’existe réellement.
C’est ce qu’avaient esquissé les résultats de l’enquête ESCAPAD de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) en 2022. Et c’est ce qu’a justement démontré l’Institut national de recherche britannique sur la santé et les soins (ou NIHR) en septembre 2023, après avoir mené une vaste étude internationale, la plus exhaustive à ce jour, et conclu :
“nous n’avons pas trouvé d’association entre les taux de tabagisme et les taux d’utilisation de produits alternatifs à la nicotine”
Et cette réfutation n’a pas été la seule. Au cours du même mois, une étude américaine retraçant la prévalence tabagique des jeunes du secondaire de 1991 à 2022 a fait paraitre des conclusions similaires :
“les inquiétudes concernant une augmentation potentielle de la consommation de cigarettes chez les adolescents suite à l’introduction des cigarettes électroniques sur le marché américain au début des années 2010 ne sont pas étayées par les données“
En octobre 2023 encore, une étude française de l’Institut national du cancer (INCa) et de l’Institut pour la recherche en santé publique (IRESP) menée auprès des lycéens de 15-16 ans, dans la Loire, est venue confirmer cet état de fait. Démontrant par la même l’effet “protecteur” du vapotage chez les jeunes :
“[la] découverte la plus pertinente pour la santé publique était la coïncidence temporelle entre une augmentation de la prévalence du vapotage quotidien et une diminution de celle du tabagisme quotidien. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que les adolescents qui expérimentent pour la première fois la cigarette électronique sont plus susceptibles de ne pas commencer à fumer ou de retarder leur entrée dans le tabagisme“
Enfin, en novembre 2023, différents chercheurs français ont définitivement clos le débat en réfutant pas moins de 23 publications. Toutes avaient affirmé, sans preuve, que vapoter conduisait les jeunes à fumer.
À quand l’interdiction de la puff en France ?
Écologiquement indéfendables, les puffs ont donc toutefois été scientifiquement mises hors de cause concernant leur prétendu attrait tabagique pour les jeunes. Comme tout autre dispositif de vapotage, elles n’incitent pas à aller vers la cigarette à fumer. Bien au contraire, elles permettent de s’en éloigner.
Une conclusion qui, semble-t-il, n’a pas arrangé les affaires de l’État, puisque les rapporteurs de la loi ont tout simplement choisi… de l’ignorer. Dans la proposition de loi comme lors des débats, les arguments erronés se sont ainsi enchaînés. Les différents ministres de la Santé qui se sont succédés à cette période sont même allés jusqu’à présenter les puffs comme un “danger sanitaire” à éradiquer pour avancer dans la lutte antitabagique mondiale.
Lundi 4 décembre 2023, la loi d’interdiction des puffs passait ainsi la première étape avec succès à l’Assemblée nationale : un vote unanime, par 104 voix.
Mercredi 7 février 2024, elle recueillait également l’approbation pleine et entière du Sénat, “considérant que ces dispositifs représentent un risque sérieux pour la santé des adolescents”.
Mardi 25 septembre 2024, elle recevait enfin le feu vert de l’Union européenne.
Le verdict de l’Union européenne
La France devait prouver à l’UE que la puff constitue un risque sanitaire majeur. Il semble qu’elle ait réussi au vu du verdict prononcé par la Commission européenne.
Une mesure « justifiée, nécessaire et proportionnée à l’objectif de protection de la santé publique ». Telles ont été les mots de l’Europe. Pourtant, les preuves avancées par la France ont été plutôt maigres. Et les données loin d’être suffisantes pour en attester…
Mais la puff dérange moralement. Ce qui semble suffire pour la condamner définitivement.
Acheter et utiliser une puff en France : est-ce légal ?
Alors, acheter une puff en France est désormais interdit ? Eh bien non, du moins, pas encore.
Actuellement, aucune loi n’interdit d’acheter et d’utiliser une puff en France. Si tant est que son acheteur et utilisateur soit majeur.
En effet, depuis la loi du 21 juillet 2009, toute personne âgée de moins de 18 ans ne peut accéder librement à des produits du tabac. Cigarettes, tabac à chauffer, dispositifs de vapotage ou encore puffs… leur vente est interdite aux mineurs.
Autrement dit, si la loi d’interdiction des puffs a été votée, et approuvée par l’UE, la France n’y est pas encore. L’Assemblée et le Sénat doivent encore statuer sur la mesure et ses modalités, pour une entrée en vigueur prévue courant 2025.
Interdiction des puffs : où en sont les autres pays de l’UE ?
La France n’est pas la seule à souhaiter bannir les puffs de son territoire. La Belgique a elle-aussi enclenché une procédure similaire en 2022. Et, obtenu, en mars dernier, la validation de la Commission européenne…
Le cas de la Belgique
C’est désormais officiel : en Belgique, les puffs deviendront interdites à compter du 1er janvier 2025. Le pays a en effet reçu, lundi 18 mars 2024, le feu vert de la Commission européenne ² :
- pour les cigarettes électroniques jetables avec nicotine :
“Les dispositions nationales interdisant la mise sur le marché de cigarettes électroniques jetables contenant de la nicotine, notifiées par le Royaume de Belgique conformément à l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2014/40/UE, sont approuvées”
- pour les cigarettes électroniques jetables sans nicotine :
“La mesure proposée en tant qu’elle concerne les cigarettes électroniques jetables sans nicotine a fait l’objet de la procédure au titre de la directive (UE) 2015/1535 (notification 2022/851/B)”
Dans la notification de sa décision finale, la Commission considère en effet que la demande d’interdiction de mise sur le marché des puffs en Belgique “est fondée sur des motifs de santé publique”. Ce, bien qu’aucune preuve scientifique ne figure au rapport.
À la lecture de ce dernier, on le voit bien. Tous les “arguments” avancés par la Belgique sont minces, et relèvent bien plus d’une opinion personnelle que d’une véritable analyse du phénomène. Mais cela semble suffire à la Commission européenne, qui déclare notamment :
“La stratégie interfédérale de la Belgique et sa politique en matière de cigarettes électroniques reposent sur le principe de précaution et sur l’idée qu’il convient de protéger autant que possible les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et les non-fumeurs contre la dépendance à la nicotine et les effets à long terme encore inconnus des cigarettes électroniques sur la santé”
Mythe de l’effet passerelle et autres idées reçues sur la dangerosité de la nicotine comme du vapotage figurent ainsi à chaque page du rapport. Et c’est précisément sur cette même base de données erronées que la France s’est appuyée pour gagner également le droit d’interdire les puffs.
De quoi être inquiet. Si même la Science est ignorée, qui deviendra le garant de mesures de santé publique justes et protectrices ? L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), prête à user de tout propos mensonger pour appuyer sa vision hygiéniste du monde ?
¹ Consulter le dernier rapport du Collège royal de médecine britannique sur le site officiel du gouvernement
² Retrouvez la décision finale de la Commission européenne relative à la demande d’interdiction des puffs par la Belgique, rendue le 18 mars 2024 (version PDF téléchargeable, langue française)