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Le vapotage aussi dangereux que le tabac ? Les déclarations alarmistes d’une étude invisible

L’étude n’est pas encore terminée, le protocole scientifique n’a même pas été dévoilé et pourtant son auteur, le docteur Maxime Boidin, affirme partout détenir la preuve que le vapotage est aussi dangereux que le tabac fumé.

Une démarche scientifique plus que douteuse, qui interroge. Les preuves scientifiques sont-elles devenues si accessoires aujourd’hui ? La validation de l’étude par les pairs n’a-t-elle plus aucune valeur ?

Si la plupart des médias se contentent de peu pour relayer cette “horrible vérité”, l’expert indépendant britannique en santé publique, Clive Bates, demande des comptes.

Une étude relayée partout avant même sa publication

Depuis l’article du The Mirror à ce sujet (1), les rumeurs vont bon train. Tour à tour, les médias britanniques s’emparent du buzz : des chercheurs de l’Université de Manchester auraient réussi à démontrer la dangerosité du vapotage.

Parois artérielles endommagées, flux sanguin altéré… l’étude aurait permis de déceler des risques graves de problèmes cardiovasculaires, de déclin cognitif et même de démence.

Derrière ces nouvelles alarmantes, la réalité est pourtant bien différente : les chercheurs n’ont toujours pas publié l’étude – ni même reçu le feu vert d’éditeurs pour le faire. Des étapes pourtant essentielles à toute démarche scientifique rigoureuse, qui permettent d’assurer la validité du protocole, et donc, des résultats observés.

Malgré tout, le responsable en charge de l’étude, le docteur Maxime Boidin, n’hésite pas à déclarer aux médias britanniques :

Au début, je croyais aussi que le vapotage était plus bénéfique que le tabagisme. Beaucoup seront horrifiés d’apprendre la vérité. Le seul avantage du vapotage est d’aider à arrêter de fumer. Mais s’il est utilisé sur le long terme, le résultat sera le même.

Et, si certains tabacologues français comme le docteur Olivier Galera se sont empressés de relayer la nouvelle sur les réseaux et de lui donner une tribune dans les médias (2), avant même la vérification des faits, d’autres sont heureusement plus attachés à leur éthique scientifique et se refusent tout commentaire avant la publication officielle de l’étude.

Au contraire, beaucoup trouvent une telle promotion médiatique étrange, et plus encore au vu des seules informations disponibles à ce jour sur l’étude. C’est le cas de l’expert britannique en santé publique Clive Bates, qui a souhaité partager ses craintes et ses critiques avec le principal intéressé. Tout en interpellant dans le même temps l’Université de rattachement du chercheur.

La lettre de Clive Bates au Dr Maxime Boidin

Le 26 février 2025, Clive Bates a écrit au responsable de l’étude, afin de l’alerter sur son comportement scientifique pour le moins contraire à l’éthique. Lui rappelant qu’il est inadmissible qu’un chercheur affirme sans preuve que le vapotage est aussi dangereux que le tabac fumé.

La version originale de la lettre (en anglais) est à retrouver sur le site The Counterfactual de cet analyste de la santé publique. Nous en proposons ci-dessous une modeste traduction en langue française.

Publicité irresponsable liée à une étude non publiée sur le vapotage

Cher Docteur Boidin,

Je vous écris pour vous demander de cesser de promouvoir de manière irresponsable votre étude incomplète sur le vapotage et de suivre un processus scientifique crédible pour publier ses conclusions. L’étude a reçu une publicité considérable. Par exemple :

  • Dans le Mirror, le 23 février : “L’horreur du vapotage : une première étude révèle des effets secondaires mortels : maladie cardiaque, défaillance d’organe, démence”
  • Dans le Manchester Evening News, le 23 février : “L’horreur du vapotage : une première étude révèle des effets secondaires mortels”
  • Dans le Daily Mail, le 24 février : “Le vapotage est plus dangereux que le tabagisme révèle une étude inédite et explosive – il augmente le risque de TROIS maladies mortelles”

Je suis un défenseur et analyste de la santé publique de longue date, et je m’intéresse au domaine scientifique et politique du tabac depuis 1997. J’étais auparavant directeur de l’Action on Smoking and Health (ASH) au Royaume-Uni et haut fonctionnaire. Je dirige maintenant mon propre cabinet de conseil. Je suis perturbé par ce que vous faites avec cette étude.

Voici quelques éléments que j’aimerai porter à votre attention :

  1. Vous n’avez pas publié l’étude et, d’après le rapport, il semble que vous ne l’ayez même pas terminée. Il n’existe pas d’article publié, de préimpression, de protocole, d’enregistrement d’essai ni même de résumé. Aucune information sur les participants n’existe également, la manière dont ils ont été sélectionnés et leurs antécédents de tabagisme. Vous n’avez pas non plus divulgué vos potentiels intérêts concurrents ni vos informations sur le financement. Malgré tout, vous vous permettez des déclarations alarmantes aux médias sur les résultats d’une étude que personne d’autre n’a vue. Il est contraire à l’éthique et inacceptable de mener des recherches scientifiques de cette manière.
  2. Dans vos déclarations aux médias, vous prétendez que le vapotage présente un risque équivalent au tabagisme et suggérez même que le vapotage pourrait être pire que le tabagisme (je vous cite) : “Ce que nous avons découvert, c’est que les dangers pour une personne qui continue de vapoter ne sont pas différents de ceux des fumeurs”. Non seulement vous n’avez aucune base pour affirmer une telle chose, mais de nombreux éléments de preuve montrent que cette affirmation est fausse. Des affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires, mais vous n’avez fourni aucune preuve suffisante pour étayer une telle affirmation.
  3. D’après les descriptions de votre méthodologie faites par les journaux, on peut supposer que vous avez mesuré les effets cardiovasculaires aigus de la consommation et du sevrage de la nicotine. La nicotine est un stimulant bien connu, avec un effet bien connu de rigidification artérielle. Vous avez tiré des conclusions à partir de mesures faites dans des conditions expérimentales assez inhabituelles (sevrage aigu de la nicotine et jeûne temporaire). Cet effet est commun à de nombreuses formes de stimulation, et il n’est pas directement lié aux résultats cardiovasculaires à long terme. Cette même histoire a déjà été écrite dans The Mirror en 2016 (3), et critiquée. Vous pouvez notamment retrouver ma critique de l’étude et de la couverture médiatique associée (4). Je ne sais pas exactement comment vous avez procédé, et c’est là tout le problème : vous échappez à tout contrôle.
  4. Malheureusement, vous n’êtes pas le premier à trouver cela, et vous n’êtes pas le premier à transformer les résultats en déclarations généralisées sur les risques relatifs au vapotage pour la santé (5). Cependant, des affirmations aussi puissantes ne peuvent être faites sur la base de réponses aiguës à la consommation de nicotine. Elles exigent de prendre en compte les risques cardiovasculaires à long terme sur la base de biomarqueurs significatifs, mais votre étude ne peut pas le faire. Elle nécessiterait également des estimations des risques de cancers et de maladies respiratoires, mais votre étude ne tente de traiter ni l’un ni l’autre. Vous n’avez aucune base pour faire des affirmations sur des conditions comme la démence ou la défaillance d’organes à partir de mesures de dilatation médiée par le flux (FMD). Je suppose que vous avez vu ce récent article de Storck, Kröger et Rammos qui montre que la caféine et la nicotine inhibent de manière aiguë la vasodilatation médiée par le flux, sans avoir nécessairement d’incidences nocives à long terme (6).
  5. Une autre critique sur votre étude a été émise le 25 février par le professeur américain Michael Siegel (7). M. Siegel met en évidence le problème des effets résiduels d’années d’exposition au tabac chez les vapoteurs actuels (je le cite) : “Cette étude n’a donc pas démontré que le vapotage est tout aussi dangereux que le tabagisme. Elle a plutôt démontré que la fonction respiratoire et la capacité d’exercice des anciens fumeurs mettent un certain temps à revenir à la normale”. Il conclut : “Si cette étude est finalement publiée – et aucune revue réputée ne le ferait – il sera trop tard pour inverser ces gros titres”.
  6. Vous pourriez tout à fait contester les points évoqués ci-dessus. Ils reposent sur une compréhension indirecte de votre travail à travers des comptes-rendus dans les journaux à sensation. C’est pourquoi il existe un processus de publication scientifique et de contrôle post-publication : les auteurs peuvent répondre aux critiques, accepter les limites de leur travail et commenter leurs découvertes. Et les revues peuvent décider si le travail mérite d’être publié et évaluer l’importance ou non des découvertes.
  7. Vous êtes spécialisé dans les sciences du sport, une discipline respectable. Cependant, vous avez peu d’expérience dans le domaine du tabagisme et du vapotage. Vous n’avez pas expliqué pourquoi les évaluations méticuleuses et crédibles qui concluent que le vapotage ne présente qu’une petite fraction des risques liés au tabagisme sont, à votre sens, erronées. Pour rappel, il s’agit notamment des évaluations de l’Office of Health Improvement and Disparities (8) et du Royal College of Physicians (9). Impliquant toutes des enquêtes sur la littérature publiée, y compris sur les effets aigus de la nicotine.
  8. Il est bien sûr possible pour de courageux outsiders de renverser un consensus scientifique. Et nous devrions célébrer ces iconoclastes lorsqu’ils triomphent. Cependant, pour revendiquer le titre de Galilée, vous devez d’abord publier et soumettre votre analyse à un examen minutieux, et non simplement en faire des déclarations farfelues dans les journaux. Pour faire des projections héroïques des risques de mortalité liés au vapotage par rapport au tabagisme, vous devez évaluer l’ensemble des dommages causés par le tabagisme et ne pas vous contenter d’utiliser un petit échantillon de vapoteurs et quelques mesures qui ne sont, au mieux, que de mauvais marqueurs des résultats cardiovasculaires à long terme.
  9. De nombreux scientifiques et universitaires subissent des pressions pour obtenir des financements et démontrer leur impact, mais rares sont ceux qui recourent à cette méthode. Je constate sur votre profil Twitter/X que vous êtes fier de la couverture du Mirror. Vous ne devriez pas. Bien que cela puisse aider à collecter des fonds et offrir un prestige personnel et institutionnel, il est profondément irresponsable pour les scientifiques de communiquer de cette manière. Si les gens sont amenés à croire qu’il n’y a pas de différence entre fumer et vapoter, il seront moins susceptibles de passer d’une consommation de nicotine à haut risque à une consommation à faible risque. Ils auront plus de chances de rechuter et ne s’éloigneront pas du tabac fumé. Bien que vous puissiez ressentir une certaine satisfaction à l’idée de faire connaître votre travail non publié et non examiné, des déclarations irréfléchies pourraient conduire les gens vers la maladie et la mort. Six millions d’adultes fument encore au Royaume-Uni. Quel effet pensez-vous que vos déclarations très médiatisées auront sur eux ?
  10. Il est tentant de blâmer les médias, et nous pouvons en effet. Mais ce n’est un secret pour personne que les médias se dégradent de plus en plus dans leur soif de clics et d’engagement et que les scientifiques peuvent facilement manipuler les journalistes crédules avec des pièges à clics alarmistes. Le journalisme scientifique de qualité devient de plus en plus rare. Cela devrait alerter les scientifiques sur l’importance d’améliorer leurs propres normes de communication et d’intégrité.

J’aimerais pouvoir terminer de manière plus positive, mais je ne le peux. Ce que vous avez fait ici est digne des pires désinformations de l’industrie du tabac des années 1970, et aura probablement le même effet : davantage de tabagisme, de maladies et de décès.

Je ne m’attends pas à ce que vous ou l’université fassiez quoi que ce soit pour remédier à cette situation lamentable. Cependant, je transmets une copie de cette lettre à M. Michael Thompson, responsable de la gouvernance et de l’équipe du secrétariat, dans l’espoir qu’elle suscitera une réflexion sur la recherche inconsidérée de publicité faite par son personnel.

Cordialement,

Clive Bates

Divulgation : je n’ai aucun conflit d’intérêts ni financement de la part d’entreprises du vapotage ou du tabac.

Au regard des multiples interrogations qui subsistent autour de cette étude à paraitre, nul doute que les chercheurs attendent avec impatience sa publication officielle (si elle a effectivement lieu) afin de constater par eux-mêmes cette “horrible vérité”.

En attendant, le mal est déjà fait. Une nouvelle désinformation a fait sa toile sur le web. Plaçant la visibilité, la notoriété et très probablement la course aux financements en priorité. Avant la santé des gens et leur droit à la juste information.


Notes


(1) EXCLUSIVE : Vaping horro as first ever study reveals deadly side effects – heart disease, organ failure, dementia, The Mirror, 24 février 2025

(2) Le vapotage aussi dangereux que le tabac ? Une étude controversée tire la sonnette d’alarme, Doctissimo, en collaboration avec Olivier Galera, 28 février 2025

(3) E-cigarettes are as bade for you as SMOKING, a new study has claimed, The Mirror, 30 août 2016

(4) When you thought public health could go no lower – it just did, The Counterfactuel by Clive Bates, 31 août 2016

(5) Voir notamment l’étude du professeur Bertrand Dautzenberg et coll. sur l’effet passerelle et sa réfutation de 23 publications aux biais méthodologiques flagrants. Toutes basées sur une montée en généralisation.

(6) Martin Storck, Knut Kröger and Christos Rammos, Caffeine and nicotine acutely inhibit flow-mediated vasodilation, but not both are necessarily harmful in the long terme, European Journal of Vascular Medicine (VASA), Volume 54, Issue 2, Mars 2025. DOI : https://doi.org/10.1024/0301-1526/a001167

(7) Michael Siegel, Researchers of Severely Flawed Study Conclude that Vaping is Just as Harmful as Smoking and Causes Heart Disease and Dementia, 25 février 2025

(8) Nicotine vaping in England : 2022 evidence update, Office for Health Improvement and Disparities, 29 septembre 2022, gov.uk

(9) E-cigarettes and harm reduction : An evidence review, Royal College of Physicians, 18 avril 2024

Mis à jour le 10.03.2025
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