Un article du World Journal of Oncology, paru en février dernier et associant vapotage et cancer, vient d’être contesté par ses pairs. La cause : des allégations non étayées. Explications.
Des données douteuses autour du vapotage et du cancer
En point de départ, Anusha Chidharla, interne à l’Université de l’Illinois, et ses 12 co-auteurs ont analysé les données de l’Enquête nationale sur la santé et la nutrition. Ainsi, sur un échantillon de 154 856 personnes interrogées de 2015 à 2018, 5 % déclaraient avoir déjà utilisé des cigarettes électroniques, 31,4 % étaient actuellement fumeurs et 63,6 % certifiaient ne pas fumer ni vapoter. L’enquête s’intéressait également aux éventuels diagnostics de cancer des participants.
Premier point problématique : les chercheurs n’indiquent pas si ces diagnostics ont été posés avant ou après que le panel a commencé à vapoter. Ce qui est bien l’exigence minimale pour déduire une relation de cause à effet ! Il est simplement précisé que les e-cigarettes étaient utilisées “comme stratégie pour arrêter de fumer chez la plupart des répondants atteints de cancer”… Ce qui laisse à penser que la maladie a précédé l’utilisation de la vape, mais sans certitude aucune. Les éditeurs expliquent d’ailleurs qu’après la publication de l’article, “des inquiétudes ont été soulevées concernant sa méthodologie, le traitement des données sources, y compris l’analyse statistique, et la fiabilité des conclusions”. En effet, “les auteurs n’ont pas fourni d’explications et de preuves justifiées pour les enquêtes”.
Quant aux utilisateurs de cigarettes électroniques, qui sont-ils ? Pour les auteurs, ce sont des participants qui ont déjà vapoté et ne sont pas fumeurs. Les antécédents de tabagisme ne sont pas pris en compte, ce qui est là encore problématique. De la même façon, “Les auteurs ont reclassé les anciens fumeurs en tant que non-fumeurs… Cela a également augmenté les cancers dans leur groupe de référence, ce qui était inapproprié”, note Brad Rodu, professeur de médecine à l’Université de Louisville, spécialiste de la réduction des méfaits du tabac.
L’article comporte en somme plusieurs incohérences, erreurs d’écriture et échecs de raisonnement… Au point de soulever une question : à défaut d’avoir évalué la justesse des propos et de la méthode pour lier vapotage et cancer, les éditeurs l’ont-ils seulement lu ?
Un bilan peu convaincant liant vapotage et cancer
En conclusion, des résultats bien confus pour parler de deux sujets différents : d’un côté la prévalence du cancer chez les vapoteurs et les fumeurs, de l’autre, la prévalence de l’utilisation de la cigarette électronique et du tabagisme chez les personnes diagnostiquées avec cancer, qui était le but premier de l’étude. Rodu explique ne pas arriver à comprendre “comment les auteurs sont passés de la prévalence du cancer chez les utilisateurs d’e-cig à la prévalence de l’e-cig chez les participants atteints de cancer.”
L’étude révèle que 2,3 % des utilisateurs de cigarettes électroniques ont signalé un diagnostic de cancer, contre 16,8 % des fumeurs actuels et 9,5 % des non-fumeurs. Comment est-on arrivé à de tels résultats ? En effectuant une analyse de régression comprenant plusieurs variables démographiques et de “comorbidités”. Mais le mode de calcul utilisé a été remis en question, la rétractation mentionnant des “préoccupations” concernant “le traitement des données sources, y compris l’analyse statistique”…
Et, en conclusion, encore des faits non avérés : “Notre étude a révélé que les utilisateurs de cigarettes électroniques avaient un âge précoce d’apparition du cancer ainsi qu’une probabilité plus élevée d’avoir un cancer par rapport aux non-fumeurs”.
Un soutien scientifique
Les auteurs définissent pourtant leur rapport “comme la première grande étude basée sur la population à trouver une association potentielle entre l’utilisation de la cigarette électronique et le cancer chez l’homme”. Une affirmation validée par Stanton Glantz, Professeur émérite de lutte antitabac de l’American Legacy Foundation à l’Université de Californie, qui reconnait l’étude comme la “première preuve épidémiologique reliant l’e-cig au cancer chez l’homme”. Notons au passage que Glantz est le co-auteur d’un article du Journal of the American Heart Association, soulignant le lien entre vapotage et crises cardiaques, lui aussi rétracté… Selon Glantz, l’étude fournit “des preuves directes que les personnes qui utilisent des cigarettes électroniques courent un risque accru de certains cancers”. Les preuves ?
Les dangers d’une telle étude
L’étude est un joyeux pot-pourri de toutes les infos, mêmes fausses, que l’on peut trouver à propos de la vape. Un exemple parmi tant d’autres : selon les 13 auteurs, “la récente épidémie de lésions pulmonaires associées au vapotage de la cigarette électronique (EVALI) aux États-Unis invite à la prudence”. Pourtant, EVALI est principalement attribuable à l’acétate de vitamine E dans les huiles de cannabis distribuées illégalement et n’a strictement rien à voir avec la vape…
Les auteurs affirment aussi craindre que la vape séduise les non-fumeurs et les plus jeunes, alors qu’en réalité, le vapotage adolescent a diminué ces dernières années. Ils redoutent également la commercialisation des produits de vapotage “comme une alternative sûre” alors que “l’effet à long terme des cigarettes électroniques n’est pas encore connu”. Pourtant, et ils le reconnaissent, les preuves indiquent que le vapotage est toujours moins dangereux que le tabagisme.
L’étude suggère aussi que les vapoteurs et les fumeurs sont confrontés à des risques de cancer similaires. Pourtant on lit que “les émissions de nicotine vaporisée des e-cigarettes contiennent des agents cancérigènes généralement à des concentrations plus faibles avec des puissances cancérigènes inférieures à 1% de celles de la fumée de tabac”. Autrement dit, le pouvoir cancérigène de l’aérosol d’une vapoteuse est inférieur de plus de 99 % à celui de la fumée de cigarette.
Concernant “l’augmentation exponentielle de l’utilisation des cigarettes électroniques en raison de leur promotion généralisée en tant qu’alternatives plus sûres au tabagisme traditionnel”, elle est décrite comme une “menace dangereuse” et un “risque pour la santé publique”, mais aussi, paradoxalement, comme un outil prometteur de réduction des méfaits… L’un des auteurs a même déclaré que les e-cigarettes pouvaient être recommandées par les cliniciens “comme une alternative au tabagisme traditionnel dans les populations ayant des antécédents de cancer qui continueraient autrement à fumer ou celles qui veulent commencer à fumer à tout prix” et que “Cela pourrait réduire considérablement le risque de maladie grave chez les utilisateurs de nicotine et d’autres groupes à haut risque.”
Voilà exactement le but de la réduction des méfaits : réduire les risques chez les fumeurs invétérés. Alors pourquoi l’étude joue-t-elle la carte de l’ambivalence à propos de ces produits qui aident au sevrage en liant vapotage et cancer ?
Bilan confus, faiblesse des arguments, fiabilité toute relative… Les conséquences d’une telle étude ne sont pas négligeables. Si elles aggravent les problèmes et découragent les fumeurs de passer au vapotage, elles sont surtout un obstacle important à la réduction des maladies et des décès liés au tabagisme.