Dès 2012, le Pr Jean-François Etter lançait une étude longitudinale inédite. Son objectif : évaluer la vape sur le long terme en suivant le parcours de vapoteurs du monde entier. En 2021, ces mêmes vapoteurs ont été réinterrogés. Ont-ils réussi à se détacher complètement de la cigarette ? Sont-ils toujours aussi dépendants à la nicotine ? Leur usage ont-ils évolué… ? Autant de questions auxquelles cette étude, publiée le 21 octobre 2023, entend bien répondre !
La première étude au long cours sur la vape : des vapoteurs de 2012, réinterrogés en 2021
Entre octobre 2012 et juin 2016, le Pr Jean-François Etter, alors professeur de santé publique à l’Institut de santé globale (ISG) de la faculté de médecine de l’Université de Genève, et directeur de Stop-Tabac.ch, a diffusé un questionnaire en ligne (proposé à la fois en français et en anglais) destiné aux utilisateurs de cigarettes électroniques.
L’objectif : étudier les changements dans les habitudes d’utilisation de la cigarette électronique (type d’appareils et de e-liquides utilisés, choix du taux de nicotine et du goût du e-liquide, niveau de dépendance, état du sevrage tabagique…) afin de mieux comprendre le parcours d’un vapoteur et pouvoir aider à l’élaboration « de politiques et d’interventions efficaces visant à réduire les méfaits associés au tabagisme ».
Au total, plus de 3 000 participants âgés de plus de 18 ans ont accepté d’y répondre. Parmi eux, 2 763 se sont déclarés utilisateurs actuels de cigarettes électroniques, 133 anciens utilisateurs et 187 non-utilisateurs.
En 2021, ces mêmes vapoteurs ont été recontactés via l’adresse mail qu’ils avaient renseignée à l’époque. Sur les plus de 3 000 participants de base, seuls 775 ont de nouveau participé à ce second questionnaire.
375 personnes ont finalement été retenues pour cette étude : toutes provenaient, au départ, de la catégorie « utilisateurs actuels », se définissaient toujours comme tel, et vapotaient ainsi en continu depuis plus de 5 ans. Parmi les répondants, on retrouve majoritairement des Français (38 %), mais aussi des Américains, des Suisses, des Anglais ou encore des Belges et des Canadiens.
En outre, afin de s’assurer de la qualité et la cohérence des données de l’enquête, le protocole de l’étude a été soumis à l’approbation du comité d’éthique des Hôpitaux universitaires de Genève, qui l’a validé.
À l’analyse des résultats, le Pr Jean-François Etter a relevé cinq points clés :
- Un nombre de vapo-fumeurs en forte diminution ;
- Des envies de fumer ou des symptômes de sevrage également en baisse ;
- Une utilisation moins fréquente de la cigarette électronique ;
- Un passage à d’autres types de dispositifs (box mods de nouvelles générations) et de e-liquides (volume du contenant, saveur…) ;
- Et une réduction de la dépendance à la nicotine.
En 2021 : toujours vapoteurs, mais bien moins fumeurs !
En 2012-16, la plupart des utilisateurs continus étaient d’anciens fumeurs (90 %) ayant arrêté depuis 6 mois en moyenne. Sur les 375 participants retenus pour cette étude, ils étaient alors 33 % à avoir déclaré avoir fumé dans le mois précédant leur réponse au questionnaire. Huit ans plus tard, ils sont trois fois moins à avoir craqué (11 %).
Même constat sur une semaine : au premier suivi, près de 2 interrogés sur 10 avaient déclaré avoir pris une bouffée de cigarette au cours des sept jours précédant leur réponse au questionnaire. En 2021, ils sont près de la moitié moins (11 %).
Plus encore, si 4 % d’entre eux étaient également des fumeurs quotidiens au premier suivi et le sont restés, la part de fumeurs occasionnels, elle, a bien diminué (de 18 % en 2012-16 à 11 % en 2021).
Les études telles que celle effectuée par Cochrane trouve ici un nouvel exemple frappant : loin d’être seulement considérée comme une bonne méthode de sevrage, la vape est une aide efficace, si ce n’est la meilleure !
Sur le chemin du sevrage
Rien d’étonnant, donc, à voir les « fortes envies » de cigarettes se réduire, tout comme les symptômes de sevrage. En huit ans, ces vapoteurs continus sont un peu moins à vapoter pour éviter les rechutes (de 95 % à 85%), pour faire face à l’envie d’une cigarette (de 86 % à 72 %), ou encore pour atténuer les symptômes de sevrage (de 87 % à 63 %).
D’ailleurs, ce constat se retrouve dans un élément clé : le dosage de nicotine.
S’ils sont toujours une écrasante majorité à utiliser des e-liquides nicotinés (91 % en 2021, contre tout de même 98 % en 2012-16), ils ont tous bel et bien abaissé leur taux nicotinique au cours des années. De 12 mg/ml de nicotine en moyenne, ils sont passés à 6 mg/ml de nicotine.
En outre, près de 80 % de ces vapoteurs estiment que leur dépendance actuelle au vapotage est moins forte que leur ancienne addiction aux cigarettes. « La fréquence et la force des envies de vapoter ont toutes deux diminué considérablement au fil du temps », précise également le Pr Jean-François Etter dans son étude.
Ainsi, alors qu’ils représentaient seulement 21 % des répondants en 2012-2016, huit ans plus tard, 35 % estiment qu’ils pourraient même réussir à arrêter de vapoter.
Entre plaisir et réduction des risques
Mais, pour bon nombre d’entre eux, l’arrêt de la vape n’est pas forcément l’objectif. S’ils ont choisi la vape il y a des années pour arrêter de fumer, réduire ou limiter les envies (ce qu’elle leur a permis de faire), désormais, ils continuent surtout de l’utiliser parce qu’ils savent que « vapoter est moins toxique que fumer du tabac » (97 % aux deux suivis), qu’ils apprécient vapoter (85 % en 2012-16, 89 % en 2021) et qu’ils sont satisfaits de cet outil (9,2/10 au premier suivi ; 9,4/10 au second suivi).
Et s’ils aiment tant la vape, c’est principalement du fait d’un composant en particulier : le e-liquide aromatisé, dont il a déjà été démontré scientifiquement qu’il augmente les chances de se sevrer.
À chaque vapoteur son arôme préféré… avec une préférence désormais pour les fruités (26 % en 2021, contre 23 % en 2012-16).
Aussi, si l’arôme tabac arrivait en tête de liste au premier suivi (31 %), il n’est aujourd’hui utilisé que par 18 % des vapoteurs. Arrivent ensuite les saveurs plus gourmandes (vanille, caramel, café…), et enfin le goût menthe et menthol, pour 14 % d’entre eux (proportion inchangée en huit ans).
Certes, ils sont désormais moins susceptibles de déclarer (63 %) qu’au départ (82 %) que leur saveur préférée les a aidés à arrêter ou à réduire leur consommation de tabac. Pourtant, leur place reste primordiale : « La plupart des participants (84 à 89 % dans les deux enquêtes) ont déclaré qu’ils produiraient leurs propres e-liquides (c’est-à-dire faits maison) ou les obtiendraient sur le marché noir si certains e-liquides ou arômes étaient interdits. Moins de la moitié des utilisateurs réguliers (43 à 44 %, aucun changement au fil du temps) ont déclaré qu’ils stockaient actuellement du matériel pour cigarettes électroniques et des e-liquides au cas où ces produits seraient interdits à l’avenir », indique Jean-François Etter dans l’étude.
Le profil type du vapoteur
Bien que l’auteur émette quelques réserves sur la capacité d’établir le profil moyen du vapoteur via cette étude, qui a principalement regroupé des vapoteurs « plus âgés et plus impliqués dans le vapotage » que le reste de l’échantillon de base, cette enquête trouve néanmoins plusieurs échos.
En septembre 2023, le sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) pour JeSuisVapoteur a dressé un bilan assez similaire. Sur les 600 consommateurs français interrogés, 66 % ont jugé la vape comme étant la méthode la plus efficace de sevrage. Grâce à elle, 60 % ont d’ailleurs déclaré avoir arrêté de fumer depuis plus d’un an, dont 42 % depuis plus de deux ans !
Quant à la question des arômes, 59 % des utilisateurs se sont dit inquiets d’une possible interdiction. 45 % ont même confié craindre qu’une telle mesure ne les pousse à retourner vers la cigarette de tabac. Car, pour plus de 8 consommateurs de cigarette électronique sur 10, ce sont bien les arômes qui ont facilité leur transition vers la vape. Et, pour 75 % de ces consommateurs, c’est bien la multiplicité des arômes qui contribue à les garder motiver dans l’usage de la cigarette électronique !
Plus récemment encore, la première synthèse de l’enquête « Merci La Vape », réalisée par les associations Aiduce, Sovape, La Vape du Cœur et la Fivape, est venue confirmer ces conclusions. D’après les données, recueillies auprès de 40 000 vapoteurs, 96 % d’entre eux ont réduit ou arrêté le tabagisme grâce à la vape. Mais surtout, 88 % considèrent que c’est bien la diversité des arômes qui les a détournés du tabagisme. Face à une possible interdiction, 57 % ont ainsi déclaré qu’ils se tourneraient vers des sources parallèles, tandis que 32 % ont estimé qu’ils recommenceraient à fumer.
Aussi, l’étude du professeur Jean-François Etter nous délivre-t-elle de belles leçons. Reconnaître la vape comme ce qu’elle est, c’est-à-dire un merveilleux outil de réduction des risques et de sevrage tabagique, c’est permettre à tout actuel fumeur de s’engager plus sereinement dans l’arrêt du tabac. Mais, pour ce faire, il faut aussi protéger ce qui fait d’elle une méthode si efficace : ses arômes !
S’il est enfin temps pour cet expert en santé publique et en réduction des risques de profiter de sa retraite, n’oublions pas ses apports majeurs dans ce combat. De telles études rigoureuses sur la vape doivent perdurer, et être relayées, afin d’éclairer au mieux les prochaines décisions des pouvoirs publics…
Sources :
(1) Etter J.F. An 8-year longitudinal study of long-term, continuous users of electronic cigarettes, Addictive Behaviors, 2023.
DOI : https://doi.org/10.1016/j.addbeh.2023.107891
(2) Première synthèse de l’enquête MERCI LA VAPE, Aiduce, Sovape, La Vape du Cœur et Fivape, novembre 2023